Les données de santé sont-elles bradées?

publié le 12 juin 2020

Le contrat passé par l’Etat français avec Microsoft pour l’hébergement du avait déjà suscité bien des réactions. Du genre: on livre inconsidérément nos données santé à l’appétit pas toujours “orthodoxe” des géants du Net.

Des remous bien plus tumultueux commencent à se faire jour au sujet de la décision prise par le gouvernement britannique d’octroyer un large accès aux données de santé des citoyens de sa Gracieuse Majesté à des sociétés telles que Google, Microsoft et Palantir. Sous le double couvert d’une part, de l’urgence sanitaire du Covid-19 (et l’utile analyse et interprétation des données à des fins de santé publique ou de recherche épidémiologique) et, de l’autre, d’un argumentaire purement économique.

En effet, les services d’analyse (et de gestion) que proposent Google et Palentir seront… gratuits pour le NHS et donc le trésor public britannique (Palentir a obtenu l’accès aux données pour… une livre – plus que symbolique). Par contre, bien entendu, les fruits potentiellement plantureux de la monétisation de ces données (données de santé ou autres) seront le seul apanage des deux sociétés en question. Sans contrôle réel de ce qu’elles en feront.

D’où le (semi-)scandale…

L’ONG openDemocracy – notamment – est montée au créneau, dénonçant cette abdication. Elle s’élève contre le fait que les sociétés prestataires aient accès à une foule de données, dont certaines particulièrement sensibles: genre, ethnie, données de santé, affiliation religieuse…

Palantir a plutôt mauvaise réputation, collaborant sans vergogne avec les services de renseignement américains et, d’un point de vue plus personnel du fait des inclinaisons de son fondateur, Peter Thiel, entretenant des liens avec l’extrême droite US.

L’ONG dit regretter que Palatir se soit arrogé la propriété intellectuelle des informations concernées et le droit de créer des bases de données sur lesquelles entraîner ses algorithmes (le gouvernement britannique aurait toutefois imposé, a posteriori, certaines contraintes plus restrictives à cet égard).

A lire, le billet de blog publié à ce sujet par l’ONG openDemocracy.

Ou encore cet autre article de la même ONG: “Will big tech save the NHS or eat it alive?”

GAFAM, risque ou opportunité

Le débat sur la pertinence qu’il y a ou non à se tourner vers les GAFAM ou des sociétés extra-européennes aux visées et stratégies pour le moins peu “lisibles”, voire obscures, perdurera sans doute un certain temps. L’un des enjeux est la “souveraineté numérique” de l’Europe, au-delà donc de simples considérations d’ordre éthique ou vie privée.

Lors d’une récente interview publiée par le magazine français Le Point, Bernard Benhamou, professeur en gouvernance de l’Internet à l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne et secrétaire général de l’Institut français de la souveraineté numérique (groupe de réflexion privé sur les enjeux internationaux des technologies), déclarait: “Plus que les pratiques fiscales des Gafam qui privent les États européens de ressources cruciales et leurs abus de position dominante quasi constants, le véritable danger auquel nous exposent ces sociétés est lié à leur appétit toujours plus grand pour l’accumulation et la monétisation des données de leurs utilisateurs. L’expérience de ces dernières années nous montre en effet la difficulté, voire l’impossibilité, pour ces sociétés de limiter ce qui constitue le cœur de leur modèle économique. Comme on a pu le voir avec le scandale Cambridge Analytica, cette accumulation de données personnelles est devenue telle qu’elle constitue désormais un risque pour le fonctionnement démocratique de nos sociétés.”